Avouons-le, la politique est, au regard de la responsabilité, un art difficile entre réalisme et utopie, court et long terme, soumis trop souvent hélas ! aux sophismes et diktats des médias et de la rue. Les slogans simplificateurs voire simplistes  remplacent bien des fois la raison et cachent une réalité plus complexe.

Entre « raison » et « déraison », loin de nous de donner des leçons. En effet, il est du devoir de tous de s’exprimer sans passion pour éclairer le débat. L’opposition dogmatique, la démonstration de force ou la péroraison des arguments n’instruisent pas utilement la décision. Aussi, notre propos n’est pas d’arguer, de démontrer quoi que ce soit au sujet des herbicides ou de l’utilisation des produits phytosanitaires au sens large, mais de poser les termes du débat. Au-delà du souhaitable, que voulons-nous ?

Par-delà les mots, les banderoles et les facilités intellectuelles, se joue un choix entre l’avenir de notre planète dans les années qui viennent et notre santé immédiate. Entre une perspective quasi certaine, le changement climatique et ses conséquences, et un éventuel  risque immédiat sur la santé, que tous les médias ou presque manient avec précaution : celui de l’impact des produits phytosanitaires utilisés en agriculture.

Dire que le risque est potentiel ne revient cependant pas à l’écarter, juste à le relativiser au regard d’autres risques. En particulier celui du changement climatique avec pour conséquences son cortège de catastrophes et de morts que l’actualité met dramatiquement à la Une.

Que penser alors de la nécessité de ces produits en agriculture ?

Les mots sont forts : « On trouve des traces de … ». Scientifiquement, revenons à des concepts élémentaires. Si l’on veut trouver des traces de tout, on en trouvera. Mais si leur dose absorbée est inférieure aux doses admises et définie par des normes extrêmement protectrices, nous sommes dans le domaine du présupposé, du risque non avéré, donc de l’acceptable, de l’absence de relation stochastique entre la cause et ses effets supposés diraient les scientifiques. Qui plus est, le débat se focalise faussement sur le glyphosate, alors que c’est sa molécule de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), qui est en cause. Trouver des traces de glyphosate dans les urines est d’ailleurs une bonne nouvelle. Cela signifie que l’organisme humain n’a pas synthétisé ces produits et les a éliminés.

Ces dernières années, de plus en plus d’agriculteurs se sont tournés vers l’agroécologie, c’est-à-dire un système de production respectueux de l’environnement et d’abord du sol parce que c’est la clef de notre avenir. 2015 a été l’année internationale du sol. L’agroécologie ne parle pas simplement du sol mais de sa santé, le sol de notre terre, de notre planète.

Premier bénéfice de l’évolution des pratiques que personne n’oserait contredire : la fin de l’érosion qui draine, selon la Commission européenne,  45 tonnes de terre par hectare et par an sur nos routes et nos chemins. Simplement en cessant les pratiques de labour, le sol retrouve sa biodiversité fonctionnelle –au premier rang desquels les vers de terre-, sa structure organique, sa relation à l’eau,…

La couverture permanente des sols est la deuxième clef. Personne ne songerait à sortir nu en hiver. Il en va ainsi des sols. Or le second bénéfice de ces pratiques grâce à la biomasse et à la faune associée est sa capacité à stocker du Carbone. Dont tout le monde sait qu’il est le facteur majeur du changement climatique. Stocker le Carbone dans les sols, c’est participer aux objectifs de la COP21.

Demeure cependant la question des phytosanitaires, où l’intérêt collectif rejoint l’intérêt individuel. Que désirons-nous ? Interdire l’usage de produit chimique en agriculture au nom de la vision à court terme d’un risque éventuel sur la santé, et sous la pression des médias, ou favoriser une agriculture durable sur le chemin de l’agroécologie ? Cette question peut s’exprimer autrement : souhaitons–nous privilégier nos préoccupations immédiates et égocentrées ou penser à l’avenir de nos enfants qui repose sur d’autres considérants beaucoup plus inquiétants ?

Il faut savoir que cette agriculture qui a abandonné la perturbation du sol et des milieux trophiques, qui pratique la couverture permanente des sols et qui allonge ses rotations culturales pour préserver les ressources, stocke du Carbone. Mais elle a aussi besoin de lutter contre la concurrence les mauvaises herbes, parfois contre les maladies, et plus rarement contre les ravageurs. Interdire le support de produits phytosanitaires, c’est demander aux agriculteurs de sauver le monde en sautant d’un avion sans parachute ni armes. C’est les contraindre in fine à retourner à des techniques lourdes favorisant l’érosion, la perte de matière organique et de biodiversité, et une consommation 5 fois plus élevée d’énergie fossile. En un mot, la dégradation inéluctable des ressources épuisables. Que ce soit en agriculture conventionnelle ou biologique, le résultat du labourage est déjà en marche dans cette direction.

Les statistiques dont nous disposons montrent qu’en moyenne, au bout de 5 ans, la consommation de produits phytosanitaires par les agriculteurs pratiquant l’agroécologie baisse jusqu’à 50% !

Parce qu’en ayant posé les termes du débat, il convient aussi de proposer : aux agriculteurs de montrer qu’ils savent en faire le meilleur usage de tous les outils nécessaires pour sécuriser les productions, de façon raisonnée et maîtrisée, sans conséquence pour notre santé et avec des bénéfices pour notre avenir commun.

Dans transition écologique, il y a « transition ». Interdire sans penser au lendemain, en condamnant les agriculteurs à régresser, à compromettre voire à perdre leurs récoltes, n’est une solution ni durable, ni responsable. Economiquement, c’est aussi une menace pour notre souveraineté nationale et notre balance commerciale. A ceux qui répondraient que nous n’avons pas besoin d’exporter, qu’ils se souviennent que nourrir 9 milliards d’individus en 2050 est plus important que leur propre assiette. Et ce sera également un déterminant de notre sécurité géostratégique.

Notre responsabilité collective est d’avoir le courage de ne pas céder au temps court de la communication et de résister aux idées trop simples pour être irréfutables. Sinon nous aurons perdu de vue les progrès possibles d’une agriculture qui peut être la réponse aux changements climatiques. Et nous aurons perdu la lutte pour notre planète au nom d’une poignée d’individus.

 Guy RIBA, Président d’honneur du Groupement pour un Avenir Innovant en Agriculture (GAIA)

Jean-François SARREAU, agriculteur, Président de l’Institut de l’Agriculture Durable (IAD) Christian ROUSSEAU, agriculteur, Président du Groupement pour un Avenir Innovant en Agriculture (GAIA)

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